(Dé)génération des catastrophes
Il s'agit de réfléchir la dégénérescence possible des catastrophes en chaos et les dynamiques sociales mises place pour y faire face. La perspective est développée à partir du livre de Roger Caillois, L'homme et le sacré, notamment son développement sur les phénomènes festifs, les rites et les guerres : en tant que transgressions du profane.
Toute catastrophe sort du rapport de maîtrise, le déborde, l’inonde, l’enseveli. Il arrive parfois qu'un individu ou une société ne surmonte pas le désordre (mental, biologique) que cela génère1. Il arrive ainsi - parfois - que la folie soit rationnelle et qu’elle s’installe à l’échelle d’une société dans son ensemble (la seconde guerre mondiale l’a mise en pratique). Il arrive aussi, "de temps à autres", que l’énergie atomique soit d’usage guerrier, que les recherches médicales débouchent sur des armes biologiques, que les montagnes tremblent terriblement de terre, que les systèmes économiques crash(ent) de la pauvreté en abondance et que - parfois - une modalité civilisationnelle ne soit pas soutenable. Parfois, sometimes, toki doki, algumas vezes.
Il s’agirait d’observer comment diverses sociétés humaines prennent en compte et composent avec le parfois, en particulier celui qui caractérise les catastrophes. Qu’est-ce qu'elles ont mis en place pour prendre en charge ces événements rares dont les impacts nous bouleversent ? Comment les sociétés composent avec les « coups de folies » de la nature (humaine et environnementale) ? Comment intègrent-elles cette donnée historique et mythologique : des catastrophes ne manquent jamais, tôt ou tard, de se produire2. Dès lors, comment se préparer à de l’inévitable ? Comment éviter surtout que le désordre soit contagieux, qu’il dégénère, se propage et sombre en chaos, ou en extinction ?

À ce titre, la lecture de l’essai de Roger Caillois, L’homme et le sacré3, donne quelques pistes concrètes. En permettant
- d'une part, d'aborder les mythes, les rites et les fêtes en tant que promotion du rare et du paroxystique en l’homme, que volonté sociale de générer l’expérience du parfois, et en tant que transmission, gestion et éducation d'une aptitude transgressive.
- et, d'autre part, de "braver le profane", c'est à dire d’envisager le sacré en tant que rouage d’une dynamique sociale contribuant à ce que chaque génération s’éprouve et se connaisse en temps d’ivresse, de folie passagère, de faim, de souffrance et d’abstinence (ce que très souvent promeuvent les rites dits « d’initiation »).
- il (m')amène à considérer ces expériences extrêmes (que sont les rites, les fêtes, les faits racontés dans les mythes), selon une dimension éducative spécifique : faire en sorte que, quand une catastrophe se produit, l’on ne cède pas à la panique, que l’on ne sombre pas dans la folie, dans la perte totale de sens et de moyens. Bref, que le désordre ne soit pas contagieux, que l’on ne participe pas à sa propagation, que l’on en soit, en quelque sorte, "vacciné".
J’espère qu’à partir de cela nous aurons une piste de compréhension des phénomènes festifs et des rites d’initiations en général. Pour ma part, il y aura en arrière fond, ce rite de passage à l’âge adulte des indiens Satéré-Mawé (la tucandeira) auquel j’assistais il y a huit ans : des enfants (âgés entre 11 et 15 ans) plaçaient leurs mains dans des gants auxquels on avait fixé des fourmis vivantes. Ils dodelinaient sur la musique, soutenus par leurs « oncles » et « pères » de cérémonie, aux limites – parfois franchies – de l’inconscience, tandis que les paroles de l’ancêtre scandaient l’histoire mythique de leur tribu et de leur relation à la nature. Pourquoi une telle épreuve associée à tant de souffrance physique, à de telles extrémités physiologiques et psychologiques ? Pourquoi ce passage par l’extrême pour devenir « adulte » ? Pourquoi cette quasi constance de la souffrance dans les rites et cette traversée de l’épreuve, de l’éprouvant ?
Dans sa préface à la troisième édition, Roger Caillois nous dit avoir écrit L’homme et le sacré « sous l’influence d’une préoccupation presque exclusive à l’endroit des émotions obscures et impérieuses qui troublent, fascinent ou parfois asservissent le cœur humain ». Le fait que le livre ai été publié à l’aube de la seconde guerre, en 1939, à la veille de cette la folie dans laquelle allait sombrer l’Europe, n'est certainement pas sans rapport avec cette "émotion obscure". Caillois voyait à l’œuvre le caractère impératif, irrémissible, inéluctable de la catastrophe guerrière, animée qu’elle était par ce qu’il nomme « les remous secrets » de l’humanité. Dans une optique similaire, Edgar Morin écrira, dix ans plus tard, qu’« il nous faut surimposer au visage sérieux, travailleur et appliqué d’homo sapiens, le visage à la fois autre et identique d’homo demens »4.

II nous faut admettre que cette « folie » est non seulement possible mais « active », et prend sporadiquement part à l’histoire humaine (dont les guerres ne sont que l’une des facettes). Sur les modalités d’activation de ce qui revêt un caractère légendaire, mythique, voire « impossible », Bergson fournit un exemple, tiré de son vécu personnel :Â
"Encore enfant en 1871, au lendemain de la guerre, j'avais, comme tous ceux de ma génération, considéré une nouvelle guerre comme imminente pendant les douze ou quinze années qui suivirent. Puis cette guerre nous apparut tout à la fois comme probable et comme impossible (…). Elle conserva son caractère abstrait jusqu'aux heures tragiques où le conflit apparut comme inévitable, jusqu'au dernier moment, alors qu'on espérait contre tout espoir. (…) Mais lorsque, le 4 août 1914, dépliant un numéro du Matin, je lus en gros caractères « L'Allemagne déclare la guerre à la France », (…) ce fut comme si un personnage de légende, évadé du livre où l'on raconte son histoire, s'installait tranquillement dans la chambre. Il avait attendu son heure ; et sans façon, familièrement, il s'asseyait à sa place. (…) Malgré mon bouleÂversement, et bien qu'une guerre, même victorieuse, m'apparût comme une catastrophe, j'éprouvais ce que dit James, un sentiment d'admiration pour la facilité avec laquelle s'était effectué le passage de l'abstrait au concret : qui aurait cru qu'une éventualité aussi formidable pût faire son entrée dans le réel avec aussi peu d'embarras ? Cette impression de simplicité dominait tout."
Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, p. 97-98.
Caillois se définit, avec Michel Leiris et Georges Bataille en tant qu’« activiste » du sacré5. Voyons donc en quoi consiste pour eux (à travers lui), cette « activité » propre au sacré.
Pour Caillois, l’activité du sacré (qui ne consiste surtout pas dans le maintien d'une pérennité) consiste soit à sacraliser (rendre sacré le profane, ce que Caillois nomme le sacré « de respect ») soit à désacraliser (rendre profane le sacré, ce qu’il nomme le sacré « de transgression »). Concrètement un « activiste du sacré » est donc celui qui effectue des transgressions sacré-profane (le fait de rendre « respecté » étant alors à considérer comme une forme positive du transgressif).
Le grand intérêt de l’essai de Roger Caillois est de montrer que certaines de ces transgressions peuvent être socialement promues et concrètement mises en place. C’est le versant dionysiaque du social que sont les fêtes et les rites. Dans le cas où la part dionysiaque est refoulée, c'est à dire non socialement promue, elle continuerait à travailler le social et finirait par rejaillir sous une forme brutale, « démoniaque » et « maudite » (dirait Bataille). Ce sont les guerres. Pour Caillois, fêtes et guerres assument une même fonction.
"Il faut passer outre à l’invraisemblance et au scandale d’un tel rapprochement et consentir à l’examiner d’un peu plus près. Sans doute la guerre est horreur et catastrophe, la fête consacrée au débordements de la joie, surabondance de vie comme l’autre est inondation de mort. Elles s’opposent termes à termes, tout les dénonce comme contraire. Mais ce n’est pas ici leur sens ou leur contenu que l’on prétend comparer : c’est leur grandeur absolue, leur fonction dans la vie collective."
Roger Caillois, L'homme et le sacré, p. 221-222.
Elles sont toutes deux des expressions de « l’extrême tension de la vie collective », toutes deux « inaugurent une période de forte socialisation », toutes deux sont « des repères dans l’écoulement de la durée ». Elles inaugurent des périodes transgressives où ce qui faisait valeur est mis à bas, inversé, bouleversé. Toutes deux s’opposent à la vie régulière, au monde profane et quotidien, incitent à s’abandonner sans contrôle aux impulsions les plus irréfléchies. Toutes deux, dans l’absolu, consistent en une « activité sacrée ». Je dis « dans l’absolu » car il est évident que ce pour quoi milite Caillois, n’est pas un activisme sacré de type guerrier. Il souhaite que les sociétés continuent de promouvoir un espace/moment d’expression du festif extrême, de l’hubris, de la dimension dionysiaque et demens de l’homme sapiens. En effet, selon lui, il faut à tout prix éviter « cet excès de sérieux de la fête [qui la] rendrait mortelle ».

En termes de principe à l’œuvre dans ce transgressif nécessaire et « sacré » que permettent les fêtes, Caillois cite Confucius qui, pour justifier les frairies paysannes chinoises disait qu’« il ne faut jamais tenir l’arc toujours tendu, sans jamais débander ou toujours débandé sans jamais le tendre » (p.133)6. Nous pourrions également défendre une perspective en termes de vaccination. Il me semble en effet que des sociétés qui promeuvent le festif « non sérieux », par exemple celles du moyen âge aux carnavals gargantuesques, des grecs et des fêtes dionysiaques, des sociétés tribales et des fêtes extrêmes des rituels, ne produisent pas des sociétés sans histoires guerrières. Toutefois cela permet peut être que le phénomène guerrier soit cantonné à un lieu d’expression spécifique (le champ de bataille), soumis à des règles raisonnées (un « code » « chevaleresque » tel que le bushido japonais, ou celui des guerres médiévales), et à des limites morales (qui pouvait par exemple prémunir les femmes et les enfants). Et tout cela suppose d’avoir appris à ne pas céder, même au cœur de la bataille, à la folie meurtrière et à l’ivresse de tuer.

Une catastrophe, quelle qu’elle soit, place l’homme dans des conditions extrêmes or, s’il ne les a jamais éprouvées, si l’on ne lui a pas appris à les traverser, il se peut qu’il n’ait pas en lui « naturellement » les ressources pour leur faire face. C’est alors culturellement qu’il les acquiert. C’est ainsi que je considère aujourd’hui le rite de la tucandeira, auquel j’assistai en ce mois de juin de l’année 2000 : comme une initiation/vaccination à la souffrance, à ce moment où le réel tel qu’on le connaît vacille, où notre propre père nous tend les gants de la douleur, où notre propre tribu nous oblige à traverser le pénible, où nous buvons de la nature un breuvage qui nous porte au seuil de la rupture. Mais aussi, dans cette épreuve, tout le monde nous accompagne, les ancêtres aussi sont rappelés, et ils nous aide à ne pas crier, à ne pas céder, à rester et devenir homme, à savoir danser encore et chanter tant qu’on le peut. Ce que cela permet ? De ne plus être enfant.

Le rituel (tout comme les fêtes et les guerres) est l'occasion de faire l'expérience du désordre, de l'effondrement, de la souffrance, d'états de conscience extrêmes. Ce faisant, il prodigue un savoir spécifique qui, à mon sens, tend à reconnaître et intégrer comme un fait, la face demens de sapiens. De cela naîtrait une maturité.
De fait, toute société distingue l’enfant de l’adulte. Il semblerait toutefois que la frontière soit plus ou moins nette et qu'il faille, tandis qu'elle s'estompe, chercher à réintroduire par exemple, un "Principe de responsabilité". De-ci de-là , des enfants portent en mains des kalachnikov, des adultes font joujou avec des petites voitures devenues grosses et, comble de l’ironie, la bombe nucléaire qui dévasta Hiroshima s’appelait... Little boy !

Il y a un autre aspect du livre de Roger Caillois que je souhaite aborder, c’est celui de la valorisation de ce qu'il nomme le désir [de transgression]. Je ne ferais ici que l'esquisser pour ne pas alourdir la discussion : ce qui joue ce rôle, ce sont notamment les récits (mythiques et légendaires) et les figures héroïques et ancestrales. Pour Caillois, ces modèles imaginaires qui positivent les fondateurs de nouveauté et les « aventuriers », contribuent à maintenir actif le « désir » de transgresser. Ce faisant, ils promeuvent – à l’échelle individuelle cette fois (et non plus sociale comme dans les rites et les fêtes) – ce que Caillois nomme « l’activité sacrée » : l’individu qui, prenant modèle sur les dynamiques des figures mythiques des héros et des ancêtres, introduit de la nouveauté et rompt avec un ordre établi sur les temps longs et qui, par delà le désordre qu’il génère, se trouve être, parfois, à l’origine de nouvelles légendes et de nouveaux commencements.

Les documents iconographiques sont des détails de toiles de Jérôme Bosch. De haut en bas : Triptyque du chariot de foin, Madrid, Prado ; Triptyque du jugement dernier, Vienne, Akademie der bildenden Künste ; Triptyque de la tentation, Lisbonne, Museu Nacional de Arte Antiga ; Triptyque du chariot de foin, Madrid, Prado ; Le portement de croix, Gand, Musée des Beaux-Arts ; Saint Jean l'Evangeliste à Pathmos (1504-5) Gemälde Galerie, Berlin. La photo est tirée d'internet, Tucandeira a dança das formigas, [tucandeira, la danse des fourmis].
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suggestions bibliographiques et questions plurielles
Article très riche, qui donne envie fortement de lire le livre de Caillois (que j'ai dans ma bibliothèque, en plus). A partir de ce point central aveugle, je rayonne en regardant, dans ma bibliothèque toujours, ce que ton article m'évoque.
D'abord, c'est sous-entendu dans ton texte, mais cela me semble quand même très important à rappeler, le livre de Caillois s'inscrit dans une démarche philosophique de critique du rationalisme (l'Homo sapiens de Morin), c'est-à -dire de la philosophie majoritaire du XIXe siècle et même encore de son temps, héritée de Descartes, de Kant et de Hegel. Comment penser positivement ce que le rationalisme a toujours écarté, repoussé, honni : la folie, l'imagination, l'excès, etc. La réponse de Caillois et, me semble-t-il, la tienne, est ethnologique : dans d'autres sociétés, ce que nous appelons folie, excès etc. a un sens, a une raison sociale. Mais bien sûr il s'agit de penser notre société à travers les autres, d'où l'effet de retour : ce que nous appelons raison, sagesse etc., est folie pour les autres, et folie envers nous-mêmes (le rationalisme produit la destruction mécanisée).
A partir de là , il peut être intéressant de comparer le livre de Caillois à d'autres qui se situent dans la même mouvance. A commencer par La part maudite de Bataille, publié après la IIe guerre, et qui tourne à peu près autour de la même idée : comment penser positivement la dépense, le gâchis, l'excès, alors que notre société, capitaliste, fonde sa rationalité économique sur les idées de parcimonie, de rendement et d'investissement ? Il faudrait aussi mettre en perspective le livre de Caillois et la pensée de Nietzsche qui est, comme chacun sait, le grand penseur du dionysiaque. Nietzsche fait quelque part (dans Humain, trop humain je crois) une critique virulente de l'hédonisme : l'hédonisme est pour lui une doctrine qui implique de rechercher partout le plaisir et de fuir autant que possible le déplaisir, la souffrance. Or, pour Nietzsche, c'est un signe de faiblesse que de n'être pas capable d'affronter la souffrance ; c'est, de plus, une négation de la réalité de l'existence, qui est faite à la fois de plaisir et de souffrance. L'hédoniste est donc un faible qui refuse l'existence comme elle est, il ne vaut guère mieux que le chrétien (la "joie" chrétienne est hédoniste). Ce que tu dis sur les rites de passage qui s'accompagnent de souffrance m'y fait penser : c'est une façon de prouver sa force, de tester ses limites, bref, d'exprimer sa puissance. Notre société a réussi à gommer presque tous les rites de passage douloureux, à les rendre honteux ou immoraux : circoncisions et excisions diverses, humiliations en tout genre ; ne reste que le bizutage et la soutenance de thèse... Bien sûr je ne milite pas pour l'excision et je trouve qu'il s'agit d'une infâme mutilation ; mais cela pose un problème concret d'application, à la société d'aujourd'hui, des positions de Caillois, de Nietzsche ou de Bataille (ça montre à quel point nous en sommes loin).
Parler de Nietzsche me fait venir à l'esprit la question de la tragédie et, à travers elle, celle de la catharsis aristotélicienne : la purgation des passions. Caillois en parle-t-il ? En tout cas, ton interprétation de la fête ou du rite douloureux comme vaccin est assez proche de cette notion ; d'autant plus qu'à l'origine, la tragédie est un rite religieux dionysiaque. Cela dit, le rapprochement devrait être prudemment effectué. Car je crois que la catharsis, comme purgation, médicament réellement efficace des spectateurs (ils se débarrassent de leurs passions extrêmes à travers leur mise en spectacle) est une interprétation anachronique d'Aristote ; elle remonte globalement au XVIIe siècle, à la lecture classique d'Aristote, à sa moralisation : en gros, elle nous dit que la tragédie sert à moraliser le spectateur, à le purger des passions pour le rendre raisonnable. Chez Aristote, c'est autre chose, me semble-t-il : il s'agit de définir la façon dont un spectateur peut tirer du plaisir d'un spectacle tragique. D'abord, il est pris par l'action et ressent les mêmes sentiments que les personnages (crainte, pitié). Ensuite, la catharsis agit, et il prend de la distance, il reconnaît et admire l'illusion théâtrale : son plaisir vient de ce qu'il reconnaît l'efficacité de l'illusion, le talent du tragédien et des acteurs à le tromper.Â
Ceci m'amène à rapprocher ton texte et celui de Caillois d'un autre livre de Caillois, sur le jeu. Le jeu aussi est mal vu par les rationalistes (il ne sert à rien), mais Caillois l'assimile à la fête, à la guerre et au rituel : le jeu est une guerre ritualisée et festive. On retrouverait là bien certains de tes arguments, autour de l'idée qu'en apprivoisant la violence, la folie, l'excès, on la contrôle et on s'évite les pires catastrophes, qui se produisent justement quand on ne les apprivoise pas, sous prétexte de les éradiquer complètement (il faut croire que de nos jours, les matchs de foot occupent plutôt efficacement cette place). La tragédie aussi est un jeu (le jeu théâtral) ; mais le théâtre a-t-il déjà véritablement servi, sauf dans ses origines mythiques religieuses, de défouloir social ? En revanche, les jeux du cirque, à Rome, avaient éminemment cette fonction : voir le livre de Paul Veyne, Le pain et le cirque, ou bien, plus récemment, Gladiator de Ridley Scott. Mais nous revoilà plongés dans un problème moral : non pas seulement parce qu'on peut dire que les jeux du cirque, c'était mal, mais parce qu'aujourd'hui beaucoup de ce qu'on peut voir à la télévision et au cinéma a cette fonction de canalisation des énergies transgressives des gens et vise à les endormir afin de mieux les contrôler... La paix dans le monde, on l'obtiendra quand plus personne n'aura de désir, pensant que la télévision les assouvit tous ?Â
Mais ceci contredit ton dernier paragraphe et l'insistance que Caillois accorde aux transgresseurs pleins de désir qui, justement, bousculent les sociétés et les transforment. Alors est-ce qu'il n'y aurait pas une contradiction entre deux choses : le rituel, ou la transgression socialisée, jouée, ayant un rôle de vaccin ou de calmant, d'une part ; et d'autre part le désir individuel, réellement transgresseur, potentiellement révolutionnaire ? Bref, une contradiction, chez Caillois, entre individu et société ?Â